Présentation
« En vingt ans, la production de richesses dans ce pays a augmenté de 70 %. En même temps, le nombre des chômeurs s’est multiplié par sept, mais cela, c’était le prix à payer. Malheureusement, nous n’y pouvons rien. Mais nous l’avions dit aux politiques. Nous les avions avertis. Il fallait en passer par là. Grâce au ciel ils ont su comprendre ce message et prendre leurs responsabilités. J’insiste ! Rien n’a été imposé aux gouvernements par les marchés, comme on l’entend parfois. Non, non, c’est tout le contraire ! »
Que penser encore de la figure qui lui succède, un clochard apparemment mythomane, au discours abscons et portant au poignet une luxueuse montre, signe ostentatoire de la réussite décrite par d’aucuns ? Ce curieux personnage, pauvre loque égarée, prétend avoir été prix Sobel d’écronomie ! Un fou ?...
Et cet amateur d’art ? Ecoutons-le ! Bouleversé par une émotion incroyable à la contemplation du tableau de ce grand maître impressionniste qu’il vient de s’offrir lors d’une vente aux enchères acharnée, il en oublierait presque qu’il vient de pulvériser le montant, pourtant vertigineux, retenu jusque-là pour une telle œuvre ?
Qui est encore ce professeur apeuré qui vient nous expliquer, en termes mathématiques du plus haut niveau, le verbatim du secret de la réussite financière fondée sur « les fameux nouveaux produits miracles ? »
Pendu à son téléphone, passablement énervé lui aussi (mais la coke, ça ne calme pas, enfin pas toujours), voici Ted, employé de banque, responsable des crédits aux particuliers, qui explique à sa cliente madame Canales, archi fauchée, que sa banque va lui permettre de réaliser son rêve : vivre au dessus de ses moyens !
Car enfin nous voulions la liberté ? Nous avons l’ultra-libéralisme. Nous appelions la démocratie ? Nous avons l’oligarchie financière. Nous voulions croire en la main invisible et bienfaisante du Marché ? Nous avons obtenu une nouvelle féodalité, avec les revenus mensuels des plus riches équivalents à des siècles de salaire des plus pauvres…
Ils affichent d’ailleurs fièrement leur credo, n’ayant pas attendu la récente crise pour déployer leur pur cynisme :
- « Le profit profite à tout le monde. »
- « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. »
- « Dans l’histoire de l’humanité depuis qu’elle est humanité, le marché est un état de nature de la société. »
- « La concurrence du marché, quand on la laisse fonctionner, protège le consommateur mieux que tous les mécanismes gouvernementaux venus successivement se superposer au marché. »
- « L’inégalité des revenus est source d’insatisfaction, et par là de progrès humain. »
- « Il faut supprimer le Code du travail. »
- « Les lois sur les pauvres créent les pauvres qu’elles assistent. »
Le simple fait de pouvoir se poser la question à la lecture de ces formules impayables — c’est le cas de le dire — nous semble attester de la nature à la fois tragique (égarements et catastrophe) et comique (travers humains et sottise pure) de la crise mondiale provoquée par les “penseurs” ultra-libéraux. Il y a donc là, en soi, matière à théâtre, s’il est exact que le théâtre peut être encore cet espace où des citoyens se réunissent et sont amenés à réfléchir et s’émouvoir des questions qui les concernent.
Pour autant, pas de discours idéologique, pas de plaidoyer militant : il suffit du simple exposé de ce qui se dit là où ça spécule et là où ça finance, et du recours à l’intelligence active du spectateur.